L’actualité de ces dernières années est malheureusement régulièrement émaillée d’annonces de jeunes trans, poussé·e·s au suicide par leur environnement social, familial et/ou scolaire.
Face à ces drames inacceptables pour une société moderne telle que la France se prétend, le Ministère de l’Éducation Nationale a souhaité travailler à une meilleure intégration des mineur·e·s trans. Ainsi, au printemps 2021, la Direction Générale de l’Enseignement SCOlaire (DGESCO) a commencé un travail, en concertation avec des associations de personnes concernées – dont la nôtre – des sociologues, des parents d’élèves, des syndicats d’enseignants et des membres de la communauté éducative, intéressés à la prise en charge des personnes trans. Un vade-mecum a été co-rédigé, inclusif et précis. Il apportait des solutions concrètes à des situations réelles afin que l’école soit à nouveau un lieu où chacun·e puisse étudier dans les meilleures conditions et « développer sa personnalité », pour reprendre les termes même du premier article du code de l’éducation.
Mais le Ministère en a décidé autrement et le vade-mecum, prévu le 17 mai 2021, s’est transformé en circulaire, publiée le 29 septembre 2021 dans le Bulletin officiel de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
Si le vade-mecum était porteur d’espoir, avec la circulaire, la déception est au rendez-vous.
Car si cette dernière rappelle clairement que l’École « doit accueillir les élèves dans leur diversité et veiller à l’intégration de chacun d’eux avec pour ambition de leur permettre de réussir leur parcours scolaire » et que l’identité de genre relève clairement de l’intime et de la vie privée, elle conditionne des droits et protections à une autorité parentale, placée à un niveau supérieur à ce que la loi prévoit.
Le code civil définit l’autorité parentale dans son article 371-1 et lui donne des limites essentielles et infranchissables : le respect dû à la personne de l’enfant et l’interdiction des violences physiques ou psychologiques.
Le Ministère les ignore et conditionne la prise en compte des mineur·e·s trans à l’accord de tous les dépositaires de l’autorité parentale. Or, ne pas reconnaître l’identité de genre d’une personne, pourtant reconnue comme un droit individuel par la jurisprudence constante depuis 20 ans de la CEDH, est clairement un manquement au respect dû à la personne et évidemment une violence psychologique.
Inutile d’être expert·e en psychologie pour comprendre que les suicides sont beaucoup plus probables chez des jeunes dont les parents s’opposent, d’une façon ou d’une autre, à la reconnaissance de l’identité de genre, que chez celles et ceux pour lesquels les parents sont accompagnants. Quand on sait le taux dramatiquement élevé de suicides chez les personnes trans, sept fois supérieur à la population globale, cette position est criminelle et semble donner aux parents le droit de vie ou de mort sur leurs enfants.
Cette circulaire est illégale, et comme la loi est supérieure à la circulaire, cette dernière est inapplicable. Nous demandons donc aux équipes éducatives de signaler systématiquement ces situations.
Pourtant, le Ministère a refusé notre demande de signaler systématiquement tous les cas dans lesquels les parents s’opposent ou ignorent l’identité de genre d’un enfant trans. Tout juste prévoit-il, en « situation de danger », termes sujets à interprétation, la possibilité d’envisager, formulation bien hypothétique, de transmettre une information préoccupante ou un signalement judiciaire.
De nombreux établissements accompagnent correctement les jeunes trans, indépendamment de la position des parents. Ils agissaient sous le couvert de la loi qui prévoit que l’École offre les conditions d’un climat scolaire serein et un cadre protecteur aux élèves. Ils doivent pouvoir continuer à le faire. Pourtant, la circulaire semble leur interdire ces pratiques bienveillantes sous prétexte d’une autorité parentale abusive et déplacée.
L’utilisation des prénoms d’usage, indépendamment de la transidentité, est quotidienne dans les établissements scolaires. Il n’est alors jamais question de s’assurer de l’accord des dépositaires de l’autorité parentale. L’exiger uniquement pour les élèves trans est donc une discrimination punie par le code pénal qui, au titre de son article 225-1, interdit les discriminations fondées sur l’identité de genre.
Nous demandons à la communauté éducative de reconnaître les prénoms d’usage et l’identité de genre, même sans l’accord des dépositaires de l’autorité parentale, conformément à la loi et non à la circulaire.
La suite de la circulaire aborde les codes vestimentaires, l’accès aux espaces d’intimité (non mixtes) et la lutte contre le harcèlement. Il paraît évident qu’il serait inhumain de conditionner la lutte contre la transphobie à l’autorité parentale. Imagine-t-on qu’on accepte qu’un·e élève puisse continuer à être harcelé·e sur son identité de genre sous prétexte que ses parents seraient opposés à son identité de genre ou l’ignoreraient ? C’est absurde et cela démontre bien combien cette circulaire est une occasion manquée, qui va mettre des années à être corrigée, au prix des vies des personnes trans qui vont continuer à voir le milieu scolaire comme un environnement hostile. Quel gâchis.
Des formations oui, mais par des associations trans
La circulaire prévoit que des formations puissent être dispensées à destination du personnel éducatif et d’encadrement. C’est une nécessité mais pas à l’importe quel prix.
Pour qu’elles soient pertinentes, les sensibilisations doivent être données par de associations trans, et non généralistes ou des organismes de formation privé. Or le Ministère conditionne ses intervention à un agrément que presqu’aucune associations trans ne peut avoir.
Nous demandons à nouveau que le recours à des associations trans soit spécifié, que les associations trans soient facilités dans leurs demandes d’agrément, et qu’un plan de formation pluriannuel soit mis en place pour que les bénévoles puissent s’organiser.